Quand on enseigne la médiation, on aborde ses règles, ses outils et ses techniques et on en oublie d’aborder un de ses principaux instruments, la voix.
Canal naturel chez l’humain de la transmission de la parole, des pensées, des émotions, la voix est le premier instrument de communication que l’on évoque fort peu en médiation. La voix fonctionne comme un instrument de musique. Un instrument de musique capable d’exprimer toute une palette d’émotions, une multitude de pensées, en fonction de l’état mental, de la personnalité, de son propriétaire et du public devant lequel il s’exprime.
On dit souvent que la fonction créé l’organe ici, c’est l’organe de la voix qui sous-tend la fonction de parler. La voix est à la fois le support du langage et la représentation de la personne à qui elle appartient : Nous sommes notre voix.
Cette voix a des caractéristiques physiques, psychiques. La maîtriser est donc nécessaire pour en obtenir le meilleur
1 – les principales caractéristiques de la voix humaine :
– Les principales caractéristiques sont son timbre (sa couleur), son intonation (forte ou faible), sa tonalité (aigu ou grave), son débit (rapide ou lent), sa prosodie, c’est-à-dire sa musicalité sa sonorité, sa fréquence, et aussi son émotion, son intention… Elle traduit fidèlement la personnalité, ce qui fait de la voix un livre ouvert sur son possesseur. Elle fait ainsi partie du langage verbal et non verbal au regard de ce qu’elle laisse paraître derrière les mots prononcés, par son ton, son débit, sa hauteur, son intensité, tout ce que les mots émis ne disent pas complètement, voire ce qu’ils peuvent cacher.
2 – Le fonctionnement de la voix
La voix humaine est produite à partir d’une colonne d’air produite par le mouvement de la cage thoracique qui fait vibrer les deux cordes vocales situées dans le larynx qui les protège et les garde dans un nid douillet et souple. Elle utilise la cavité buccale et les fosses nasales. Au-dessous de la cage thoracique, l’élément le plus important qui agit comme un soufflet, bougeant avec les mouvements de notre cage thoracique inspirant et expirant, est notre diaphragme. C’est lui qui donne plus ou moins de force à notre voix selon que nous prenions peu ou beaucoup d’air. D’où la nécessité de se rappeler de la respiration des nourrissons, c’est-à-dire avec le ventre.
3 – Pour avoir une belle voix, une voix qui traduit très fidèlement ce que l’on veut dire, une voix qui ne se fatigue pas, il est nécessaire de maîtriser son instrument vocal.
– Maîtriser sa respiration
– Moduler sa voix
– Savoir la mettre au diapason
4 – Les pouvoirs qui en découlent sont étonnants et efficaces, permettant de mieux remplir sa fonction de médiateur (Le Pouvoir de la Voix, Jean Abitbol, Allary Editions, 2016). La voix a le pouvoir de :
– Traduire des émotions
– Susciter des émotions (http://etudiants.nice.fr/la-voix-humaine-un-modele-de,3497.html)
– Capter l’attention des auditeurs
– Persuader
– Séduire
– Charmer
– Entraîner les personnes autour de soi dans le sillage de nos émotions, de nos sensations, par l’effet des neurones miroirs
L’étendue des pouvoirs de la voix est prodigieux et le plus grand d’entre eux est celui de réunir les êtres vivants, de les rassembler dans un même élan pour le meilleur ou pour le pire. Un exemple dramatique est le pouvoir de la voix d’Hitler sur les foules. Un autre plus plaisant celui de la voix enchanteresse d’Elvis Presley galvanisant, charmant, la foule de ses admiratrices…
La voix est un élément indispensable dans l’éducation de l’enfant, lui permettant de devenir un être humain à part entière. Sans la voix, nous avons du mal à nous développer harmonieusement. Sous l’effet des neurones-miroirs, l’enfant copie l’adulte dans ses gestes et dans ses intonations. Vous avez déjà sans doute dit à quelqu’un « on dirait son père ! Ou on dirait sa mère ! Ils ont presque la même voix ! ». Non, ils n’ont pas la même voix, pas la même signature vocale, puisqu’elle est unique pour chacun de nous, mais ils ont imprimé dans leur cerveau les attitudes, la tonalité et les impulsions vocales de leurs parents.
Nommer les choses leur donner vie. La voix est apparentée au Verbe divin. C’est ainsi que dans la Genèse, Dieu dit à l’homme de nommer les choses qu’il a créées pour lui. En les nommant qu’il leur donne vie. Par sa voix, Adam donne ainsi vie aux choses et aux êtres. Donner un nom à un être car en le nommant, on le rend unique.
Certains modèles de médiation se servent plus que d’autres de la voix, notamment la médiation transformative (La médiation transformative, Baruck Buch et Folger, Collection Trajets, Editions Ères, 2016). Les émotions des médiants sont retranscrites telles quelles par le médiateur qui utilisera les mots et le ton de celui qui les a émis. L’effet miroir de la voix, au moyen des mots redits et du ton imité par le médiateur, peut être très efficace car le médiateur recopiant les mots et le ton du médiant fait ainsi prendre conscience à celui-ci que ce qu’il vient de dire et le ton qu’il a utilisé allaient sans doute plus loin que ce qu’il voulait réellement exprimer.
Comme on le dit souvent en médiation, il ne faut pas avoir peur de nommer les choses, c’est en les nommant, en leur donnant une ampleur, une consistance réelle, que ces choses, ces sentiments, ces émotions, peuvent être remises à leur juste place.
C’est assez fréquent en médiation. Un exemple.
Une dame âgée ne peut manifestement pas dire certaines choses. Nous avons pris soin de laisser une chaise vide pour les absents dans cette affaire. Le silence s’installe. Lui aussi est une voix : celle des absents, des non-dits… « Vous n’avez rien à dire ? Alors nous allons nous arrêter là pour aujourd’hui… » Je joins le geste à la parole, mon co-médiateur, reprenant les mêmes termes, suit le même mouvement. La dame âgée prend alors la parole et, dans un souffle avec un débit rapide et fort, elle nous jette une information aussi tonitruante que le ton qu’elle a employé pour la dire…
Ma voix était calme et ferme et mon attitude physique est venu conforter mes mots et le ton utilisé. Cela a provoqué une peur de n’être pas entendue et une réaction de défi chez la vieille dame. Elle a parlé vite et fort pour mieux se faire entendre, en se débarrassant de l’information qu’elle tenait en elle depuis des dizaines d’années. Elle l’a jetée comme on vomit. Trop lourd à porter pendant tant d’années de silence.
Sentant que quelque chose n’était pas dit, laissé sous le boisseau, j’avais orienté ma voix et mon attitude physique dans un même sens, dans un même mouvement, pour que le non-dit sorte du bois, se révèle. Quand vous laissez le silence s’installer, il devient un allié. Il vous propose des solutions, il ouvre d’autres portes que vous n’attendiez pas.
Vous remarquerez ici l’importance d’être synchrones en co-médiation.
Un autre exemple. Une femme, au bord de la crise de nerf en entendant les propos de son mari, l’interrompait une nouvelle fois brutalement.
« Non, c’est faux ! Et puis te te poses toujours en martyr ! J’en ai assez ! J’ai l’impression de tourner en rond ! »
Mon co-médiateur et moi avions ressenti lors du précédent rendez-vous cette tension extrême qui la dépassait comme une immense vague de colère qui se jette sur la plage un jour d’orage.
Nous avons pris notre voix la plus douce et la plus calme pour lui demander d’exprimer complètement ce qu’elle ressentait, comme ça lui venait. Notre ton, notre voix, notre attitude, lui donnèrent confiance et elle se lança dans une longue explication, plus calmement que lorsqu’elle s’exprimait par interjections.
Vous retrouvez ici l’effet des neurones miroirs dans la voix et le geste. Lui parlant posément, elle s’est mise au diapason. Sachant qu’on l’écoutait sans l’interrompre, qu’elle serait entendue jusqu’au bout, elle a pu plus calmement dire ce qu’elle avait sur le cœur.
Vous remarquerez que la voix n’est pas seule , elle fait partie d’un ensemble qui se veut homogène : la voix, le ton, les mots, l’attitude corporelle et le regard forment un ensemble qui ne doit pas se dissocier faute de ne plus être crédible.
On est ici au cœur du sujet : LA SINCÉRITÉ.
Vous pourrez utiliser tous les artifices vocaux, si vous n’êtes pas sincère votre corps vous trahira, votre voix vous trahira…
Pour être médiateur, il faut ressentir de l’empathie pour les médiants. Si vous n’êtes pas sincère, ils le sauront tout de suite et la médiation ne passera pas.
Alors entraîner sa voix, son attitude corporelle, c’est bien, entraîner son empathie, c’est encore mieux ! Une voix aussi belle soit elle n’est rien sans un cœur qui l’accompagne.